Déconfinement : « Que la fête commence le plus vite possible ! »

ENTRETIEN. Impatient de rouvrir son théâtre, Frédéric Biessy, patron de La Scala Paris, se dit agacé par les plaintes de certains du "milieu culturel".

 

Il est l'heureux directeur de La Scala, la dernière-née des salles parisiennes, un ancien café-concert qu'il a recréé en septembre 2018 avec une salle modulable de 530 places et bientôt une autre plus petite de 150 places. Un théâtre éclectique qui fait salle comble avec les spectacles d'Alexis Michalik ou de Yoann Bourgeois, et qui s'est arrêté, comme tous les autres, le 13 mars. Mais la scène n'est pas restée vide, son directeur l'a proposée à des artistes comme François Morel pour des répétitions. Durant deux mois, il a élaboré, toujours en lien avec les artistes, une saison qui fera la part belle aux créations qui ont été imaginées pendant cette période de fermeture.   Le Point : Quel est votre sentiment après ces deux mois de confinement et de fermeture des théâtres ? Je suis étonné. Soit par le silence de certains artistes dont on aimerait entendre ce qu'ils ont à dire – mais peut-être n'ont-ils rien à dire encore –, même si certains de leurs spectacles qui proposaient une réflexion sur la société pouvaient nous faire espérer une réaction spontanée de leur part. Soit par la véhémence d'autres qui réclament plus d'aides financières. S'il s'agit des théâtres subventionnés, le personnel est payé par la subvention. Et le problème le plus aigu, ce sont les intermittents qui ne peuvent pas gagner d'argent – heureusement le gouvernement permet une année blanche pour leurs droits. Et pour les théâtres « privés » qui, eux, ne reçoivent pas de subventions ? Il faut des aides certes, mais nous les « privés » devons faire des propositions et permettre à l'État d'être notre partenaire sur les bases d'un projet. Vous aimeriez rouvrir, mais dans quelles conditions ? Un grand nombre de directeurs de salle expliquent qu'ils ne peuvent rouvrir leur salle avec l'obligation de distanciation de 1 mètre, un ou deux sièges vacants, trois rangs vides devant la scène, etc. Bien sûr, les théâtres privés ne peuvent pas se permettre de perdre de l'argent sur un spectacle. Leur économie repose sur leurs recettes de billetterie. Lorsqu'on crée un spectacle, dans notre cas, par exemple, il y a, d'un côté, le producteur et, de l'autre, le directeur. La recette sert au producteur à payer la fabrication du spectacle, les artistes, les répétitions, le lancement, etc. Au directeur, elle sert à payer le fonctionnement du théâtre : les charges courantes, le personnel (billetterie, placeurs, chargés de production, attachés de presse…). Le budget d'un spectacle est calculé en fonction de la jauge de la salle (530 fauteuils chez nous) et de la durée de son exploitation. Par exemple, un spectacle dont le coût de création est compris entre 300 000 et 400 000 euros, avec chez nous un éventail de places de 18 à 50 euros, une fois le coût amorti après un certain nombre de représentations, il devient possible de ne plus remplir la salle à 100 %. Mais pour cela il faut du temps et du succès. C'était le cas lorsque vous avez dû fermer ? Presque ; avec Une histoire d'amour d'Alexis Michalik, qui avait commencé en janvier et devait s'arrêter en juin pour reprendre à la rentrée de septembre. La salle était pleine tous les soirs et on commençait à rentrer dans nos frais. Donc, dès que le gouvernement donnera le feu vert, vous êtes prêts à rouvrir et à moins « remplir » ? Mais,dans les autres cas, si la recette n'a pas permis de tout couvrir, c'est impossible. Oui. Nous sommes impatients, Alexis, toute sa bande et moi, de reprendre Une Histoire d'amour, mais j'ouvrirai aussi La Scala avec d'autres spectacles sous des formes différentes que permettra notre petite salle (un ou deux artistes sur scène, des musiciens, des rencontres avec des penseurs, etc.) en testant dans un premier temps une occupation d'une centaine de fauteuils pour les rencontres, puis, si ça fonctionne, deux cents, etc. Il faut inventer, et l'économie et les spectacles, mais l'esprit de La Scala répond à cette « morphologie » tout en modulations. Notre public, jeune, d'une moyenne de 35 ans, aussi. Dans d'autres situations comme souvent dans le théâtre privé, quand la venue du public dépend de têtes d'affiche qui forcément coûtent cher et qu'il faut « remplir » pour pouvoir continuer, c'est plus compliqué, voire impossible. Dans le cas de seul(e) en scène, spectacles très plébiscités, les salles pourraient rouvrir aussi ? Un artiste, pas de contact… Qu'il s'agisse de François Morel, de Jos Houben ou d'autres artistes « seuls en scène », nous savons que l'élément déterminant est la proximité de l'artiste avec son public. Il faut du monde, groupé et non pas éparpillé, pour que l'ambiance se crée, que le rire gagne tous les rangs. D'ailleurs, les salles où ils se produisent sont souvent intimes, sauf les stars dans de grandes salles comme les Zénith, et les premiers rangs très proches de la scène. Est-ce que, comme il se dit pour l'édition ou l'art contemporain, le théâtre souffrirait d'un trop-plein ? Non ! plus il y a d'offres, mieux c'est. Je ne crois pas du tout au gâteau qu'on se partage. Le public se démultiplie. Vous croyez vraiment que les gens ont les moyens d'aller au théâtre plusieurs fois par mois ? Le problème n'est pas la fréquence, mais qu'ils aient le choix. Il existe beaucoup de formes de théâtre, et c'est la gageure aujourd'hui, inventer, réinventer. Votre impatience à rouvrir ne vous ferait pas tout voir en rose ? Pourquoi est-il urgent de rouvrir nos théâtres ? Ils ne sont pas que des lieux de spectacle, mais aussi des lieux de débat, de solidarité. Nous sommes le premier forum dont public et artistes ont été privés. À ceux qui appellent à n'ouvrir qu'une fois toutes les conditions réunies pour que les théâtres puissent faire salle comble, je dis : « Ne sacrifiez pas à l'impératif commercial le rôle essentiel du théâtre : le partage ! Nous sommes là pour éclairer, confronter les points de vue, faire avancer la pensée. Pas uniquement pour encaisser nos recettes. » Que la fête commence le plus vite possible ! Paru dans Le Point, le 20 mai 2020

 

 

ENTRETIEN. Impatient de rouvrir son théâtre, Frédéric Biessy, patron de La Scala Paris, se dit agacé par les plaintes de certains du « milieu culturel ».

 

Il est l’heureux directeur de La Scala, la dernière-née des salles parisiennes, un ancien café-concert qu’il a recréé en septembre 2018 avec une salle modulable de 530 places et bientôt une autre plus petite de 150 places. Un théâtre éclectique qui fait salle comble avec les spectacles d’Alexis Michalik ou de Yoann Bourgeois, et qui s’est arrêté, comme tous les autres, le 13 mars.

Mais la scène n’est pas restée vide, son directeur l’a proposée à des artistes comme François Morel pour des répétitions. Durant deux mois, il a élaboré, toujours en lien avec les artistes, une saison qui fera la part belle aux créations qui ont été imaginées pendant cette période de fermeture.

 

Le Point : Quel est votre sentiment après ces deux mois de confinement et de fermeture des théâtres ?

Je suis étonné. Soit par le silence de certains artistes dont on aimerait entendre ce qu’ils ont à dire – mais peut-être n’ont-ils rien à dire encore –, même si certains de leurs spectacles qui proposaient une réflexion sur la société pouvaient nous faire espérer une réaction spontanée de leur part. Soit par la véhémence d’autres qui réclament plus d’aides financières. S’il s’agit des théâtres subventionnés, le personnel est payé par la subvention. Et le problème le plus aigu, ce sont les intermittents qui ne peuvent pas gagner d’argent – heureusement le gouvernement permet une année blanche pour leurs droits.

Et pour les théâtres « privés » qui, eux, ne reçoivent pas de subventions ?

Il faut des aides certes, mais nous les « privés » devons faire des propositions et permettre à l’État d’être notre partenaire sur les bases d’un projet.

Vous aimeriez rouvrir, mais dans quelles conditions ? Un grand nombre de directeurs de salle expliquent qu’ils ne peuvent rouvrir leur salle avec l’obligation de distanciation de 1 mètre, un ou deux sièges vacants, trois rangs vides devant la scène, etc.

Bien sûr, les théâtres privés ne peuvent pas se permettre de perdre de l’argent sur un spectacle. Leur économie repose sur leurs recettes de billetterie. Lorsqu’on crée un spectacle, dans notre cas, par exemple, il y a, d’un côté, le producteur et, de l’autre, le directeur. La recette sert au producteur à payer la fabrication du spectacle, les artistes, les répétitions, le lancement, etc. Au directeur, elle sert à payer le fonctionnement du théâtre : les charges courantes, le personnel (billetterie, placeurs, chargés de production, attachés de presse…). Le budget d’un spectacle est calculé en fonction de la jauge de la salle (530 fauteuils chez nous) et de la durée de son exploitation. Par exemple, un spectacle dont le coût de création est compris entre 300 000 et 400 000 euros, avec chez nous un éventail de places de 18 à 50 euros, une fois le coût amorti après un certain nombre de représentations, il devient possible de ne plus remplir la salle à 100 %. Mais pour cela il faut du temps et du succès.

C’était le cas lorsque vous avez dû fermer ?

Presque ; avec Une histoire d’amour d’Alexis Michalik, qui avait commencé en janvier et devait s’arrêter en juin pour reprendre à la rentrée de septembre. La salle était pleine tous les soirs et on commençait à rentrer dans nos frais.

Donc, dès que le gouvernement donnera le feu vert, vous êtes prêts à rouvrir et à moins « remplir » ? Mais,dans les autres cas, si la recette n’a pas permis de tout couvrir, c’est impossible.

Oui. Nous sommes impatients, Alexis, toute sa bande et moi, de reprendre Une Histoire d’amour, mais j’ouvrirai aussi La Scala avec d’autres spectacles sous des formes différentes que permettra notre petite salle (un ou deux artistes sur scène, des musiciens, des rencontres avec des penseurs, etc.) en testant dans un premier temps une occupation d’une centaine de fauteuils pour les rencontres, puis, si ça fonctionne, deux cents, etc. Il faut inventer, et l’économie et les spectacles, mais l’esprit de La Scala répond à cette « morphologie » tout en modulations. Notre public, jeune, d’une moyenne de 35 ans, aussi. Dans d’autres situations comme souvent dans le théâtre privé, quand la venue du public dépend de têtes d’affiche qui forcément coûtent cher et qu’il faut « remplir » pour pouvoir continuer, c’est plus compliqué, voire impossible.

Dans le cas de seul(e) en scène, spectacles très plébiscités, les salles pourraient rouvrir aussi ? Un artiste, pas de contact…

Qu’il s’agisse de François Morel, de Jos Houben ou d’autres artistes « seuls en scène », nous savons que l’élément déterminant est la proximité de l’artiste avec son public. Il faut du monde, groupé et non pas éparpillé, pour que l’ambiance se crée, que le rire gagne tous les rangs. D’ailleurs, les salles où ils se produisent sont souvent intimes, sauf les stars dans de grandes salles comme les Zénith, et les premiers rangs très proches de la scène.

Est-ce que, comme il se dit pour l’édition ou l’art contemporain, le théâtre souffrirait d’un trop-plein ?

Non ! plus il y a d’offres, mieux c’est. Je ne crois pas du tout au gâteau qu’on se partage. Le public se démultiplie.

Vous croyez vraiment que les gens ont les moyens d’aller au théâtre plusieurs fois par mois ?

Le problème n’est pas la fréquence, mais qu’ils aient le choix. Il existe beaucoup de formes de théâtre, et c’est la gageure aujourd’hui, inventer, réinventer.

Votre impatience à rouvrir ne vous ferait pas tout voir en rose ?

Pourquoi est-il urgent de rouvrir nos théâtres ? Ils ne sont pas que des lieux de spectacle, mais aussi des lieux de débat, de solidarité. Nous sommes le premier forum dont public et artistes ont été privés. À ceux qui appellent à n’ouvrir qu’une fois toutes les conditions réunies pour que les théâtres puissent faire salle comble, je dis : « Ne sacrifiez pas à l’impératif commercial le rôle essentiel du théâtre : le partage ! Nous sommes là pour éclairer, confronter les points de vue, faire avancer la pensée. Pas uniquement pour encaisser nos recettes. » Que la fête commence le plus vite possible !

Paru dans Le Point, le 20 mai 2020

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